Un seul fournisseur aérien, c’est possible ?

Contre les règles en vigueur, une entreprise britannique mène une expérience intéressante en concentrant son trafic auprès d’une seule compagnie sur un axe ultra-fréquenté.

Le pari est osé. Il est d’usage sur des liaisons aériennes internationales souvent empruntées par les collaborateurs d’avoir au moins deux, sinon trois partenaires aériens, afin notamment de faire jouer la concurrence. C’est encore plus vrai pour les comptes multinationaux. La société britannique Finastra, spécialisée dans les logiciels financiers, et dont le budget aérien frôlait les 25 millions de US$ en 2019, était de ces entreprises, comme le rapporte The Company Dime

Son travel manager, Mauro Ruggiero, raconte que, sur l’axe Londres/New York, il avait mis en concurrence American Airlines, et son partenaire British Airways (dans le cadre de l’alliance Oneworld), avec Delta et son partenaire Virgin Atlantic (qui a rejoint depuis peu l’alliance Skyteam). Tout change en décembre 2019 quand Finastra signe un accord avec Delta aux termes duquel la compagnie accorde des remises tarifaires plus élevées en échange de 100% de parts de marché. 

« Nous sommes passés d’une part de marché de 50/50 entre Delta et American à 95% en faveur de Delta, voire 100% au départ de Londres, ce qui est assez inédit compte tenu de la position ultradominante de British Airways sur Heathrow » témoigne Mauro Ruggiero. Les résultats sont au rendez-vous : Finastra a économisé « quelques centaines de milliers de dollars, et ce en quelques mois ». 

Delta et Finastra se rencontrent tous les trimestres pour évaluer les performances. Mauro Ruggiero précise qu’il trouve encore acceptable que le duo Delta/Virgin ne soit pas l’option la moins chère dans 10 ou 20% des cas mais qu’au-delà il demande une meilleure remise. 

La principale interrogation concernait en réalité la réaction des voyageurs et leur degré d’adhésion. Or on sait, et c’est encore plus vrai depuis la pandémie, qu’une bonne partie des voyageurs d’affaires place la liberté de réserver auprès de leurs fournisseurs préférés parmi les avantages qu’ils souhaiteraient que leur entreprise offre pour améliorer l’expérience voyage. Et on sait aussi que les programmes de fidélisation exercent une influence considérable dans le choix de la compagnie.

Conscient de ces paramètres, Mauro Ruggiero a fait en sorte, afin de faciliter le changement, que les statuts des programmes de fidélisation correspondent. S’il admet que l’opposition potentielle des fidèles de British Airways était une préoccupation au départ, il souligne néanmoins « que notre politique voyages est très claire : nous ne permettons pas aux voyageurs de prendre des décisions en fonction des programmes de fidélisation. Si nous avions proposé à nos voyageurs un produit de qualité inférieure, je le comprendrais, mais ce n’est pas le cas ».

Il concède toutefois avoir dû affronter quelques réticences. « Mais à moins qu’un collaborateur ne vienne avec une différence de prix incroyable, nous n’avons pas cédé. J’avais besoin de déplacer des parts de marché ».

L’expérience menée par Finastra est regardée avec intérêt par les observateurs. Une telle stratégie est rare parmi les grandes entreprises, plus fréquente pour des volumes modestes, car il faut un suivi fournisseurs quasi-personnalisé et une culture de conformité à la politique voyages très forte. Par ailleurs, vous devez ménager les fournisseurs écartés (en l’occurrence American et British Airways) mais que vous utilisez sur d’autres axes et qui pourraient vous faire payer cher cette décision.

Mauro Ruggiero n’en retire quant à lui que du positif : « Je devais trouver un moyen de réduire les coûts, je n’allais pas y arriver en faisant une négociation normale ». Il envisage d’ailleurs d’étendre cette stratégie à des liaisons intérieures aux Etats-Unis mais aussi à l’hébergement. Il a ainsi négocié avec le Royal Lancaster situé à Londres des prix réduits en échange de 4 à 5000 chambres-nuits. Au bout de six mois, il avait déjà basculé 90% des parts de marché. Une expérience à méditer sinon à reproduire ?

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

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