Le nouveau trublion du voyage d’affaires, lancé en 2020, commence à se faire un nom auprès des grands comptes.
Le bonhomme est doté d’un sacré caractère. Sarosh Waghmar, fondateur de Spotnana, quitte l’Inde en 1994 pour les Etats-Unis grâce à une bourse d’études en informatique à l’université du Texas comme il le racontait dans un entretien à Business Travel News en 2018.
Il créé sa première entreprise mais l’explosion de la bulle internet en 2001 provoque sa faillite et au même moment son appartement est ravagé par un incendie. Obligé de dormir dans sa voiture, presque sans le sou, il hésite à revenir en Inde.
Se rappelant qu’il était devenu un grand voyageur lors de son premier job chez Deloitte, jonglant mieux que personne avec les miles, il a l’idée de proposer ses services pour aider les salariés à optimiser leurs programmes de fidélisation. Il remonte la pente et met le doigt dans l’industrie du voyage d’affaires, qu’il ne quittera plus.
Puis il créé un logiciel de réservations qui devient une TMC à part entière, du nom de WTMC. En 2016, cette dernière met au point le « premier tuyau NDC au monde » avec American Airlines. « C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que l’avenir du voyage d’affaires se trouvait dans la plomberie », explique-t-il dans Phocuswire.
Son constat : trop ancienne, la plomberie qui alimente l’industrie entrave l’efficacité du système, au détriment du client. « Tout, de la couche GDS au mid-office, est très fragmenté avec de multiples parties prenantes ayant des motivations et des incitations trop diverses et parfois opposées ».
Ni une ni deux, il bazarde tout, recommence à zéro, et lance en 2020 Spotnana en réussissant à lever 34 millions de dollars. Il s’entoure des meilleurs dont Johnny Thorsen, l’un des spécialistes mondiaux les plus reconnus de la techno dans le voyage d’affaires, et Bill Brindle, ancien patron des opérations chez Amex GBT. Et surtout, Steve Singh, co-fondateur de Concur, véritable icône de l’industrie, devient président du conseil d’administration. Bref, que du très lourd.
L’idée ? Construire une plateforme de gestion des voyages qui agit à la fois comme TMC ou comme une marque blanche en mettant sa technologie à disposition d’autres TMC ou d’autres acteurs. C’est sa première originalité : être une plateforme ouverte à tout le monde. « Les voyages d’affaires ont été bâtis sur des modèles d’entreprises très fermés, chacun construisant des choses pour lui-même et essayant ensuite de les intégrer à des tiers ».
Le modèle économique ? Simple, un fee à l’utilisation, pas de frais initiaux ni de minimum, « je paye ce que je consomme ».
Deuxième atout : la plateforme, globale et entièrement intégrée, est connectée directement avec les compagnies aériennes et tous les autres fournisseurs utiles pour le voyage lui-même et la gestion du voyage. L’ensemble n’est pas édifié sur une pile technologique existante et facilite l’expérience utilisateur.
Troisième particularité : basée sur le cloud, la plateforme peut ainsi être déployée facilement et rapidement, en quelques semaines, à des dizaines de milliers de salariés répartis dans des dizaines de sites dans le monde. « Il s’agit là d’un changement massif de la structure des coûts pour le client », affirmait Steve Singh, dans un article de Skift.
C’est là aussi où Spotnana se démarque des autres nouveaux acteurs tels Navan (ex-TripActions) ou Travel Perk, elle s’adresse peut-être d’abord à des grands comptes dont la présence est mondiale plutôt qu’aux PME. Et début novembre, comme le rapporte The Company Dime, elle a annoncé avoir attiré une énorme prise dans ses filets, le géant de la distribution Walmart, première entreprise du monde en termes de chiffre d’affaires, plus de 600 milliards de dollars, qui vient s’ajouter à d’autres clients prestigieux, tels Amazon. Excusez du peu.
Spotnana et Walmart ont ainsi lancé un projet pilote, d’abord déployé aux Etats-Unis, afin de pouvoir utiliser la norme NDC des compagnies aériennes. Theresa Gehler, directrice monde des achats voyages de Walmart, affirme que « la valeur ajoutée » est déjà évidente. Elle est particulièrement enthousiaste sur le potentiel des offres forfaitisées qu’autorise NDC et sur les capacités de libre-service de la plateforme qui permettent aux voyageurs d’effectuer eux-mêmes des changements et des modifications de billets au sein des canaux approuvés par l’entreprise.
Cette initiative intervient quelques mois après l’annonce d’un partenariat stratégique entre Spotnana (200 salariés désormais) et CWT, accord dont on ne sait pas encore grand-chose, sinon qu’il associe la technologie du premier avec les services globaux de la deuxième. Une chose est sûre : certaines entreprises souhaitent utiliser Spotnana tout en conservant leur TMC. C’est peut-être à cette aune qu’il faut interpréter ce partenariat.
L’Europe intéresse-t-elle Spotnana ? Assurément et CWT pourrait à l’avenir lui servir de cheval de Troie. En attendant, elle vient d’intégrer Trainline qui lui permet d’élargir considérablement son contenu ferroviaire européen. Et on a appris récemment, via le site The Beat que Lufthansa, la compagnie pionnière sur NDC, avait pris une participation dans l’entreprise lors d’une deuxième levée de fonds de 75 millions de dollars en juillet 2022. Sans doute pas un hasard…
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM