Amadeus et Microsoft, Sabre et Google, Travelport et Amazon : ces rapprochements en disent long sur la nouvelle stratégie corporate des GDS.
Certains les ont peut-être enterrés trop vite. L’avènement d’un marché où la distribution et la connectivité (via NDC notamment) sont désormais beaucoup plus ouvertes devait les fragiliser dangereusement pour les uns. L’éclosion des start-ups, plus agiles et « nativement web », devait achever de les ringardiser selon les autres, empêtrés qu’ils sont dans leur technologie d’un autre temps, le vieux (mais efficace) langage informatique EDIFACT qu’ont dû assimiler plusieurs générations d’agents de voyages.
Les annonces de ces dernières semaines montrent qu’il va falloir compter avec eux, spécialement dans le voyage d’affaires, et avec leur nouveaux alliés, inattendus : les GAFAM, rien de moins !
C’est Sabre qui avait dégainé le premier en indiquant avoir signé en octobre 2020 un partenariat stratégique avec Google. Puis Amadeus avait répondu en février 2021 en annonçant le sien avec Microsoft. Enfin, Travelport révèle en juin 2021 un accord avec Amazon Web Services.
Derrière ces trois alliances, un même point de départ : la volonté pour les GDS de migrer vers le cloud qui permet non seulement de se débarrasser des gros ordinateurs centraux mais surtout d’accéder à une plus grande capacité de calcul afin d’accélérer le développement et les possibilités de travailler avec un plus grand nombre de partenaires technologiques.
Ces trois associations sont en train aujourd’hui d’aborder une nouvelle phase de leur développement et c’est là que ça devient intéressant. Amadeus vient ainsi de frapper un grand coup en annonçant l’intégration de Cytric, son OBT (online booking tool), dans les applications collaboratives de bureau de Microsoft, Teams et Outlook. Dans l’excellent The Company Dime, Ken Pfaffmann, le vice-président commercial d’Amadeus en Amérique du Nord, pose deux questions centrales à propos des OBT : « Pourquoi forçons-nous les collaborateurs à aller vers un outil qu’ils n’utilisent pas tous les jours ? Alors que notre lieu de travail a changé avec le développement du télétravail, pourquoi penser que les OBT devraient rester les mêmes ? »
Résultat : à partir de Teams, les utilisateurs peuvent désormais partager des itinéraires avec leurs collègues puis, grâce à ces informations, lancer des recherches de voyages avec des destinations et des dates préremplies et effectuer des réservations. Pratique quand il faut organiser les réunions occasionnelles dans les bureaux de l’entreprise ou hors site. La même chose sera bientôt possible via les invitations du calendrier Outlook. Les voyageurs pourront aussi remplir une note de frais dans l’environnement Microsoft.
Encore mieux : le journaliste affirme que les deux partenaires réfléchissent à une intégration de Cytric dans LinkedIn (propriété de Microsoft) qui permettra aux voyageurs de savoir si leurs contacts se trouvent en même temps qu’eux à destination et tirer ainsi le meilleur parti de leur déplacement.
De son côté, Sabre affirme qu’il va aller plus loin que le cloud avec Google. Interrogé par le site Phocuswire, le pdg du GDS, Kurt Ekert (ancien patron de CWT), affirme « qu’il y aura des innovations avec Google dans le voyage d’affaires. Le domaine de Google, ce sont les données et les algorithmes. Nous allons examiner comment nous pouvons utiliser leurs capacités d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique dans notre gamme de produits afin d’apporter de la valeur aux déplacements des entreprises ». Rappelons aussi que Sabre devient un des actionnaires d’Amex GBT à la faveur de l’entrée en bourse de la TMC.
Plus discret, Travelport n’en reste pas moins actif. L’entreprise a lancé l’année dernière Travelport+, basé sur le cloud, qui va lui permettre à terme de rassembler les GDS Galileo, Apollo et Worldspan en une seule plateforme unique, plus agile et plus moderne. Les premiers retours des TMC semblent positifs. Son accord avec Amazon Web Services vient de s’élargir puisque les deux firmes vont lancer un accélérateur de start-ups dans le domaine du voyage.
Le temps est donc révolu où les GDS, assis sur une forme de rente (un fee à chaque réservation) et leur quasi-monopole, alignaient sans effort surhumain des taux de marge de 30 à 40%, à faire pâlir d’envie les compagnies aériennes et les TMC. En économie, on appelle ces entreprises des cash machines, qui font le bonheur de leurs actionnaires. L’heure est désormais à une plus grande concurrence, à une distribution plus ouverte, qui dégage de nouvelles perspectives aux GDS. L’obligation qui leur est faite de bouger et d’innover devrait profiter au secteur du voyage d’affaires. Personne ne s’en plaindra.
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM