Le travail à distance est en train d’initier de nouveaux comportements aux effets multiples sur les déplacements professionnels.
Une lame de fond. Encore marginal avant la pandémie, le télétravail s’est imposé en quelques mois auprès de millions de salariés. Selon une étude réalisée pour Les Echos, 50% des actifs dont le métier permet le travail à distance veulent rester en télétravail 1 à 2 jours par semaine et 31% de 3 à 5 jours par semaine ! Dans une interview à l’Obs, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, affirme même que « les entreprises vont réduire (dans un futur proche) la taille de leurs bureaux de 30% à 50% ».
Certaines entreprises ont déjà entériné le changement. Jack Dorsey, le Pdg de Twitter, a informé ses employés qu’ils pourraient continuer à travailler à domicile « pour toujours » raconte le site The Company Dime. Idem pour Mark Zuckerberg, le Pdg de Facebook. De son côté, la banque JP Morgan a annoncé la mise en place d’un modèle de rotation pour ses 60000 collaborateurs. Quant à SAP, ses 102 000 salariés viennent d’apprendre qu’ils auront le choix, travailler à domicile, dans les locaux de l’entreprise ou les deux.
Cette révolution du lieu de travail soulève quelques grandes questions pour les travel managers, surtout ceux du secteur des services bien évidemment. Pour Business Travel News Europe, la principale est celle-ci : le trajet d’un salarié entre son domicile et le site de l’entreprise peut-il désormais être considéré comme un voyage d’affaires et non plus comme un trajet quotidien ? La réponse à cette question n’est pas sans implications financières, juridiques ou managériales d’autant que, le télétravail se généralisant, les entreprises vont être amenées à embaucher des talents de moins en moins proches du lieu de travail.
S’il se raréfie, qui va prendre en charge le trajet entre le domicile et le travail ? L’entreprise ou le salarié ? « Certaines sociétés disent qu’elles utiliseront une partie des économies réalisées sur l’immobilier pour payer les déplacements au bureau afin de montrer qu’elles sont un bon employeur », explique Raj Sachdave, directeur du cabinet de conseils Black Box Partnerships. Il va même plus loin en affirmant que si l’on considère que le trajet domicile-travail est désormais un déplacement professionnel, il doit faire partie du programme de gestion des voyages avec tout ce qui en découle comme le duty of care et la durabilité.
Certains fournisseurs du voyage commencent d’ailleurs à s’adapter à ce changement, telle la SNCF qui propose depuis quelques jours une formule d’abonnement « télétravail » qui représenterait selon les calculs du transporteur une baisse de 40% par rapport au forfait annuel antérieur.
Sous couvert d’anonymat, un travel manager interrogé par BTN Europe voit néanmoins dans cette évolution un vrai danger : « Si vous faites la navette entre votre domicile et le bureau, vous êtes plus enclin à aller voir un client. En revanche, quand vous ne faites plus ce trajet, le risque est de moins ressentir le besoin de se déplacer pour un voyage d’affaires. Ou si vous le faites, c’est que le motif est très significatif ».
Dans une version plus optimiste, d’autres considèrent au contraire que le télétravail va favoriser une nouvelle forme de voyages d’affaires. En effet, ces télétravailleurs vont avoir besoin à un moment de se rencontrer pour faire avancer des projets communs, pour se former… Ainsi Dropbox, la société spécialiste du cloud, qui ne jure plus que par le travail à distance, raconte The Company Dime.
N’ayant jamais enregistré le moindre dollar de bénéfice, elle chasse les économies, « et espère des améliorations financières significatives en sous-louant certains de ses bureaux et en embauchant dans des endroits à moindre coût ». En contrepartie, elle encourage et finance des réunions trimestrielles d’équipes ayant lieu dans l’un des quatre principaux centres de collaboration qui ont remplacé les bureaux de l’entreprise, ou dans des tiers lieux. Cela signifie un budget transport, un budget hôtel etc… Ce qui fait dire à Katie Romanko, la travel manager de Dropbox : « Le voyage est devenu la pièce maîtresse pour maintenir notre connexion humaine et notre culture d’entreprise ».
L’attitude de Dropbox, extrême et très « américaine » (ce n’est pas un jugement de valeur), est à méditer. Elle fait écho aux déclarations récentes de Brian Chesky, le Pdg d’Airbnb. Très durement touchée par la pandémie, l’entreprise a encore enregistré une perte nette abyssale de 1,2 milliard de US$ au cours du premier trimestre. Brian Chesky s’est épanché sur la situation du secteur, affirmant que les voyages d’affaires ne seront plus comme avant et qu’un nouveau type de déplacement professionnel pourrait émerger.
« Il me semble tout à fait intuitif qu’à mesure que les entreprises offrent plus de flexibilité, davantage de personnes vont vivre dans le monde entier, mais elles ne voudront pas toutes vivre perpétuellement à distance », a-t-il expliqué. « Elles devront rendre visite à l’entreprise, et je pense donc que nous allons commencer à voir des séjours plus longs dans les villes ». Brian Chesky a d’ailleurs précisé qu’en 2021, sur les marchés urbains, 24% des réservations d’Airbnb étaient de plus de 28 jours contre 14% en 2019.
Décidément, la pandémie rend les voyages d’affaires post-Covid beaucoup plus compliqués qu’ils ne l’étaient auparavant. Une opportunité supplémentaire pour les travel managers de voir leur champ d’action élargi.
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM