Bientôt une nouvelle TMC en France ? L’ex-fondateur de Concur, qui veut transformer les voyages d’affaires, ne cache pas ses ambitions.
Steve Singh est une légende dans le voyage d’affaires. Il a non seulement révolutionné la gestion des notes de frais en co-fondant Concur, avec son frère et un ami, mais il a réussi l’exploit de vendre cette entreprise, à la croissance rapide certes mais non rentable (!), à SAP en 2014 pour la somme astronomique de 8,3 milliards de US$ dont 900 millions de dettes !
Une opération qui reste à ce jour la plus importante réalisée par l’éditeur allemand de logiciels et qui avait rapporté le pactole aux trois compères ainsi qu’à un de leurs actionnaires, American Express Cartes, qui a raflé au passage près d’un milliard de US$ !
Le prochain Concur ?
Depuis lors, Steve Singh, à la tête d’un fonds de capital-risque, Madrona Ventures, est parti à la recherche du prochain Concur et, comme l’écrit le site Skift, « pense que les voyages d’affaires sont prêts désormais pour les nouvelles technologies et que l’entreprise idoine peut supplanter les historiques. »
Il n’est ni le premier ni le dernier sans doute à vouloir déboulonner les « dinosaures » du secteur et comme le disait un fameux duo comique : « Y en a qui ont essayé… ils ont eu des problèmes. »
Sauf que Steve Singh n’est pas le premier venu et son rachat avec un groupe d’investisseurs de Direct Travel, une grosse TMC américaine, en dit long sur les ambitions du garçon. « Pour un prix conséquent » a-t-il dit à la presse sans en divulguer le montant.
On peut en douter. Créée en 2011, Direct Travel est certes une belle TMC qui a réalisé 3,6 milliards de US$ de volume d’affaires en 2022 pour 300 millions de chiffre d’affaires, et qui compterait 4500 clients, principalement des PME parmi quelques grands comptes comme Paypal, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Mais le Covid est passé par là alors qu’elle réalisait 5,8 milliards de US$ de volume d’affaires en 2019 et qu’elle annonçait le 15 janvier 2020, soit deux mois avant le déclenchement de la pandémie, sa plus importante opération de croissance externe en mettant le grappin sur Professional Travel, une TMC de près de 450 millions de volume d’affaires. Patatras ! Après une restructuration de sa dette, Direct Travel est alors passée dans les mains de ses prêteurs selon le site The Company Dime.
Une proie de choix
La TMC constituait donc une proie de choix pour un chasseur comme Steve Singh et l’un des derniers étages d’une fusée qu’il construit patiemment depuis 2018. Avec le même groupe de business angels, il a en effet déjà investi dans les startups Spotnana, Troop et Center. Steve Singh est désormais le président exécutif de ces quatre entreprises, et Madrona Ventures en est le principal investisseur.
Spotnana ? L’œil de l‘AFTM en avait parlé en décembre dernier, il s’agit d’une plateforme de gestion et de réservation d’un genre nouveau, globale, ouverte, basée sur le cloud, qui facilite l’expérience utilisateur. Elle a levé 100 millions de US$ depuis sa création.
Troop ? Ayant levé près de 20 millions de US$, c’est une plateforme MICE qui aide les entreprises à planifier, réserver et gérer ses réunions, « un segment de marché très mal servi » pour Steve Singh.
Center ? Cette plateforme de gestion des dépenses et de notes de frais a déjà levé 140 millions de US$.
L’objectif ? Selon Skift, « mettre à la disposition des clients de Direct Travel une plateforme qui intègre les technologies et les services de ces quatre entreprises. » Et de préciser : « Chacune d’elles continuera à fonctionner de manière indépendante. »
L’ambition ? D’après les propos de Steve Singh rapportés par Business Travel News : «Nous allons nous développer à la fois en Amérique du Nord et dans d’autres zones géographiques, comme l’Union européenne. » La France, gros marché de l’UE du voyage d’affaires, devrait logiquement entrer dans le spectre.
Le « voyage parfait »
La vision ? « Le marché attend vraiment une transformation. La réalité est que ce secteur fonctionne avec des piles technologiques héritées, des informations cloisonnées, des expériences discontinues » a-t-il déclaré devant la presse.
« L’écosystème actuel du voyage d’affaires est simple à résumer, détaille-t-il dans un article passionnant de son blog, les données sont fragmentées. Il y a beaucoup d’inefficacités entre l’acheteur de voyage et le fournisseur de services de voyage. L’expérience est rarement cohérente ou intégrée de manière transparente. Si les données relatives aux clients sont souvent utilisées à des fins de marketing, elles le sont rarement pour offrir une expérience agréable. Les plateformes technologiques sont largement fermées, de sorte que l’innovation d’une entreprise s’ajoute rarement à celle d’une autre entreprise. »
Une vision qui doit aboutir au « voyage parfait » tel qu’il l’avait déjà imaginé du temps de Concur. Reste néanmoins une pile technologique, le dernier étage de la fusée : le contenu hôtelier. « Les systèmes dominants datent de plusieurs décennies et ne permettent pas d’offrir la flexibilité ou la gamme de services nécessaires sur le marché. (…) La personnalisation est inexistante dans l’écosystème hôtelier » cingle-t-il.
Voilà qui promet des investissements à venir et à surveiller de près ! Un épisode qui démontre en tous cas que la consolidation des TMC accélère par à-coups depuis quelques années. Hier, à quelques jours d’intervalle, Amex GBT rachetait Egencia et Navan, Reed & Mackay. Aujourd’hui, GBT met la main sur CWT et presque simultanément Steve Singh sur Direct Travel. Et ce n’est sans doute pas fini.
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM