L’intelligence artificielle générative va profondément modifier l’industrie du voyage d’affaires. Vertigineux mais pas sans dangers.
Johnny Thorsen est sans doute aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes au monde des technologies du voyage d’affaires. Il est aussi vice-président chargé de la stratégie et des partenariats chez Spotnana, une start-up américaine qui se définit comme une plateforme tout-en-un pour les déplacements professionnels dont on reparlera dans ces colonnes.
En juin dernier, s’exprimant sur l’intelligence artificielle lors du Business Travel Show à Londres comme le raconte PhocusWire, il a demandé à l’auditoire « de se préparer à des choses qu’ils ne peuvent même pas encore imaginer. » Piquant alors la curiosité des travel managers et des acheteurs présents dans la salle, il se lance dans un exemple : « Si quelqu’un mettait un moteur d’IA au-dessus des recherches de Google Flights, on n’aurait plus besoin d’un moteur de recherche. Vous n’auriez plus besoin de SBT parce que ce moteur d’IA deviendrait aussi votre TMC en plus d’avoir accaparé les capacités de Google Flights. » Et de conclure en forme d’avertissement : « Préparez-vous donc à la nécessité de déconstruire et de réassembler votre programme de voyage car cette technologie accélérera les changements en cours. À part cela, jouez avec, utilisez-la dans votre vie privée et familiarisez-vous avec elle, car elle n’est pas près de disparaître. »
Science-fiction ? On n’en est pas encore là mais les travel managers doivent vite se pencher sur le sujet. Certes, l’IA est présente depuis de nombreuses années dans le voyage d’affaires, au travers de services comme les réponses aux questions fréquemment posées par les voyageurs (les fameux FAQ). Selon Mihai Dinu, gestionnaire de notes de frais chez UiPath, cité par Business Travel News, « l’évolution a été lente jusqu’à aujourd’hui mais l’IA générative comme ChatGPT est le chaînon manquant dans l’automatisation des voyages d’affaires. ChatGPT a le pouvoir de prendre des décisions, c’est un cerveau. »
D’énormes gains de productivité
Mat Orrego, Pdg de Cornerstone Information Systems, approuve et estime que de nombreuses tâches courantes de partage d’informations n’auront plus besoin d’être recherchées et transmises par un humain, le genre de travail qui occupe une grande partie de la journée d’un agent de voyages, écrit l’auteur de l’article, l’excellent Amon Cohen.
Ce dernier voit aujourd’hui 3 conséquences majeures pour l’industrie du voyage d’affaires :
- L’IA va créer un nouvel assistant pour la gestion et l’achat de voyages. Par exemple, les acheteurs ont beaucoup de contrats fournisseurs à gérer. « Or lorsque vous introduisez un contrat d’achat complexe d’une compagnie aérienne dans ChatGPT, il devient soudain plus clair car le robot aura eu la capacité de le résumer » explique Mat Orrego.
- Les SBT pourraient disparaître. Will Tate, consultant, raconte ainsi que l’IA lira vos textos, vos courriels, vos demandes de calendrier, vos communications, et dira : « Madame X va avoir besoin de voyager à Londres tel jour. Elle doit y prononcer un discours à 10h. Je connais toutes ses préférences personnelles. Elle n’aime pas prendre un vol de nuit, elle aime arriver tôt et séjourner dans un hôtel en particulier. » Le système génère alors une suggestion d’itinéraire et invite madame X à cliquer pour réserver ! Mihai Dinu est plus prudent : « Je ne pense pas que cela se produira bientôt (…), notre secteur et les contenus sont très fragmentés et il existe un énorme réservoir de données imprécises ou inexactes, c’est un véritable défi. »
- Les fournisseurs pourraient détourner les voyageurs du programme de l’entreprise. ChatGPT est une arme redoutable pour la vente et le marketing personnalisés. « Les fournisseurs vont proposer aux voyageurs des offres très ciblées, adaptées à leurs préférences mais très probablement en contradiction avec les objectifs de la politique voyages », avance Will Tate.
Les TMC en première ligne
Pour les TMC, le changement pourrait aussi être radical mais constitue une opportunité alors qu’elles sont confrontées à une pénurie de main d’œuvre. Dans un autre article de Business Travel News, John Morhous, spécialiste des technologies chez FCM, déclare : « L’IA a le pouvoir d’améliorer l’intelligence, la créativité et la perspicacité. Cela nous offre des opportunités sans précédent qui s’étendent à tous les points de contact ».
Selon lui, « l’IA peut contribuer à améliorer la gestion des voyages d’affaires de multiples façons, notamment en créant des communications personnalisées sur les politiques voyages, en capturant automatiquement les réservations hors politique qui ont fuité, en clarifiant et en acheminant les demandes de voyage vers le meilleur canal de réservation et en capturant toutes les informations sur le voyage pour faire gagner du temps aux agents de voyages. »
Daniel Senyard, toujours de FCM, s’enthousiasme : « Il s’agit d’une étape passionnante vers la redéfinition de la manière dont notre industrie aborde le service et augmente considérablement la vitesse à laquelle nous pouvons offrir une véritable valeur à nos clients ».
Les travel managers menacés ?
Et les travel managers dans ce maelström ? Vont-ils disparaître ? Mat Orrego et Mihai Dinu pensent qu’ils verront au contraire leur rôle renforcé. « L’IA peut devenir l’assistant virtuel des gestionnaires de voyages, elle élargit leurs capacités et leur permet de se concentrer sur des questions plus stratégiques que tactiques. »
Et tout ceci à quel horizon ? Johnny Thorsen affirme que l’IA générative passe aujourd’hui par le cycle normal de l’engouement : « Et puis viendra le temps des déceptions et des histoires terribles sur des données mal interprétées ou mal utilisées. Ensuite seulement arrivera le temps des solutions réellement disponibles, où beaucoup de choses se produiront, de sorte que l’année 2024 sera probablement le moment des premières solutions vraiment significatives dans le voyage d’affaires. »
D’ici là, Microsoft fait partie des sociétés qui cherchent à connecter la technologie GPT à l’internet. «C’est à ce moment-là que le véritable pouvoir de ChatGPT sera révélé et qu’il deviendra pertinent pour notre industrie » assure Mihai Dinu. « Sans données en temps réel, il ne sert à rien, on ne peut pas se fier à des informations d’horaires et de numéros de vol obsolètes. »
Il reste bien sûr de nombreuses interrogations sur la protection des données (où vont-elles ?) et sur la consommation très énergivore de l’IA alors que le climat se réchauffe dangereusement. Karim Jouini, le patron fondateur d’Expensya, expliquait récemment qu’une décision prise par un humain consommait 30 watts. La même décision par ChatGPT ? 1 megawatt, soit 33333 fois plus…
François-xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM