Introduction en bourse pour Amex GBT, accord avec Lufthansa pour TripActions qui, par ailleurs, se déploie en Europe : derrière ces deux événements, l’énorme enjeu des PME.
Pour les TMC, c’est une lutte sans merci qui se prépare. Avec les PME en ligne de mire. Et pour cause : quasiment tous les grands comptes annoncent des baisses drastiques de leurs déplacements professionnels pour les années à venir, si bien que les PME pourraient constituer l’un des seuls relais de croissance des distributeurs, mega-TMC ou non. Dans ce marché déprimé par la pandémie, les PME ont d’ailleurs été les premières à reprendre le chemin des voyages.
L’enjeu est de taille : selon Amex GBT, le marché mondial non intermédié des PME, qui se débrouillent donc sans le support des TMC, en réservant auprès des fournisseurs et des agences de voyages en ligne, serait estimé à 675 milliards de US$ ! A comparer avec le marché intermédié de ces petites et moyennes entreprises qui s’élevait à 270 milliards de US$ avant le Covid.
Le rachat d’Egencia par Amex et celui de Reed & Mackay par TripActions furent une première salve. L’annonce il y a quelques jours de l’introduction en bourse d’Amex GBT en est une deuxième. Pour mener cette bataille des PME, le géant américain a en effet besoin de liquidités. Or, à l’instar de toutes les TMC, il a été durement éprouvé par la pandémie comme en atteste le document public de 53 pages fourni par Amex GBT à l’autorité américaine des marchés financiers (SEC), une vraie mine d’informations dont je vous recommande la lecture intéressante et qui mériterait plusieurs articles.
On y apprend ainsi que la méga-TMC, sans aucun doute la plus profitable avant la pandémie, a affiché en 2020 une perte opérationnelle de 363 millions de US$ contre un EBITDA (bénéfice opérationnel) de 428 millions de US$ en 2019. Montant auquel il faut ajouter la perte de 248 millions de US$ d’Egencia et celle, plus anecdotique, de 21 millions de US$ d’Ovation Travel, autre TMC spécialisée sur les PME rachetée par GBT en janvier 2021. Soit une perte opérationnelle consolidée de 625 millions de US$ (après ajustements).
Amex GBT a dû faire face également à d’importants coûts de restructuration (réduction d’effectifs) de 206 millions de US$ en 2020 contre 12 millions seulement en 2019. Ils ont été compensés par des économies d’une valeur de 235 millions de US$, soit 13% de sa base de coûts en 2019.
Selon la presse financière américaine, l’introduction en bourse devrait apporter 1,2 milliard de US$ d’argent frais à Amex GBT mais pas seulement. La TMC a obtenu également une facilité de crédit de 1 milliard de US$, dont 600 millions serviront à rembourser des prêts arrivant à terme, et 400 millions pour financer les besoins généraux de l’entreprise, notamment les opérations de croissance externe.
Un vrai ballon d’oxygène et une force de frappe importante qui vont permettre de soutenir la stratégie ultra-offensive à l’égard des PME pour laquelle Amex GBT affiche désormais clairement ses ambitions. Le fameux document remis à la SEC confirme que la stratégie de croissance de la TMC consiste à cibler le marché des PME qu’il décrit comme « le segment de l’industrie le plus large et qui connait la croissance la plus forte ». Et Paul Abbott, le patron d’Amex GBT, de renchérir en marge de cette annonce dans des propos rapportés par The Company Dime : « C’est le segment qui dégage les marges les plus élevées et celui qui se remet le plus rapidement de la pandémie. » On lit d’ailleurs dans le document que si les PME totalisent désormais 45% des revenus du groupe suite au rachat d’Egencia, elles représentent (a minima) plus de 50% des bénéfices.
Comme un fait exprès, TripActions a annoncé au même moment son déploiement en Europe et l’ouverture de son bureau à Paris en janvier prochain. A longueur d’interviews, le nouveau patron pour l’Europe du Sud, Zahir Abdelouhab, ne cache pas ses ambitions sur le marché des PME, avec un appétit qui semble insatiable. Et ce n’est pas un hasard si la TMC nouvelle génération lance avec Lufthansa une plateforme de réservation et de gestion qui cible justement les clients PME de la compagnie aérienne.
Restent à ce stade plusieurs questions en suspens. Amex GBT sera-telle la première mega-TMC à réussir sur ce marché des PME alors que les tentatives des uns ou des autres ont toujours échoué par le passé ? Ces petites et moyennes entreprises vont-elles se laisser séduire par le profil très techno de TripActions ? Les deux acteurs y accordent des moyens inédits et conséquents, et le marché tranchera, d’autant que les autres TMC fourbissent aussi leurs armes. L’affrontement s’annonce déjà rude et féroce mais passionnant.
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM