Le timing de la décision du ministère de la justice américain de bloquer le rachat de CWT par Amex GBT peut interpeller.
Pour Amex GBT, le coup a été rude à encaisser. Le 10 janvier dernier, le ministère de la Justice américain (DOJ) décidait l’ouverture d’une action judiciaire visant à empêcher le rachat de CWT par Amex GBT. Soit 10 jours avant l’intronisation du nouveau président Donald Trump.
La plainte est ouverte et menée par Doha Mekki, qui dirige la division antitrust du DOJ en tant que procureur général adjoint. Elle a la haute main sur une administration de 650 personnes, procureurs, juristes et économistes. Seulement voilà, elle a été nommée à ce poste par intérim en remplacement de son prédécesseur qui a démissionné le… 18 décembre 2024. Et elle sait qu’elle n’y fera pas de vieux os car ces fonctions sont éminemment politiques et que Donald Trump prend les rênes du pouvoir le 20 janvier.
A-t-elle donc agi par excès de zèle ? C’est la thèse défendue par la presse ultra-conservatrice américaine. Dans un article au vitriol le site Breitbart, co-fondé par Steve Bannon (hérault de l’extrême-droite US), dénonce le 6 février une « extrémiste de gauche », « woke », qui a « fait adopter de nombreuses mesures radicales lors des dernières semaines de la présidence boiteuse de Biden ». Et de s’étonner de la priorité qui a été faite d’empêcher Amex GBT de racheter une société « paralysée par le Covid et les longs confinements de Biden » et dont « l’avenir ne tient qu’à un fil et pourrait mettre en péril 9000 emplois ».
Quelques jours plus tard, le 20 février, le site de gauche américain Jacobin prend la défense de Doha Mekki en pointant « un article à sensation », « cynique et malhonnête », et justifie une action en justice qui pourrait empêcher une fusion « qui sape la concurrence et entraîne une hausse des prix ».
Cette histoire vient rappeler la complexité de la justice américaine, entre justice fédérale et justice des États, entre politique et justice. Doha Mekki a été nommée en janvier 2022 par l’ex-président Joe Biden et faisait partie des rares afro-américaines de la division antitrust, ce qui en faisait une cible de choix pour Breitbart. Fin janvier, elle a été remplacée officiellement à la tête de cette administration par Gail Slater, qui a été l’assistante du très radical vice-président JD Vance au Sénat.
Une bonne nouvelle pour Amex GBT ? Entre-temps, la date du procès a été fixée au 8 septembre prochain par un juge de la Cour fédérale de district de New York (auprès de laquelle la plainte a été déposée) du nom de Victor Marrero. Il n’est pas inutile de rappeler que les juges fédéraux sont nommés à vie, peuvent exercer au-delà de la retraite et ne peuvent donc être destitués lors d’un changement politique d’administration. Or la fiche Wikipedia de Victor Marrero indique qu’il a été nommé en 1999 par le Président Bill Clinton et qu’il a ferraillé en 2019 et 2020 contre Donald Trump pour des histoires de déclarations de revenus du nouveau président.
Cela annonce-t-il un bras de fer entre la républicaine Gail Slater et le démocrate Victor Marrero ? Rien à ce stade ne l’indique. Le procès aura-t-il lieu le 8 septembre ou un accord peut-il intervenir d’ici là ? Eric Boch, le directeur juridique d’Amex GBT, a tenu des propos sibyllins lors de l’annonce des résultats financiers de la TMC il y a quelques jours et rapportés par Business Travel News : « Il existe un certain nombre d’autres scénarios différents, mais à des fins de planification, supposons que le procès se tiendra le 8 septembre ». Et de poursuivre : « Amex GBT continuera à discuter avec le DOJ (…), l’administration Trump peut avoir un point de vue différent sur cette question ».
Bref, après la volte-face des autorités britanniques de la concurrence, le feuilleton du rachat de CWT par Amex GBT nous réserve peut-être un nouveau coup de théâtre.
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM