La procédure engagée par la TMC mérite quelques éclaircissements pour bien en saisir les enjeux.
On ne le répètera jamais assez : le Covid a été un choc sans commune mesure pour l’ensemble des TMC. Pour CWT, le coup a été d’autant plus rude que l’année 2019 avait été celle de tous les records selon des informations rapportées par le site The Company Dime qui a consulté les documents déposés dans le cadre de la procédure judiciaire. La TMC avait alors réalisé un volume d’affaires de 23,1 milliards de US$ pour un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de US$ et généré un EBITDA (bénéfice d’exploitation) de 239 millions de US$.
Sauf que CWT est lestée d’une lourde dette de 1,5 milliard de US$, intenable en ces temps de vaches maigres, les revenus moindres ne permettant pas d’en rembourser les échéances. La TMC n’avait au final d’autre choix que de se mettre sous la protection de la loi américaine sur les faillites, le fameux Chapter 11, dont l’esprit et la lettre sont bien différents des procédures françaises.
J’ai donc contacté sur LinkedIn Marc Bertonèche, professeur d’économie à Harvard, Oxford et HEC, l’un des spécialistes français du Chapter 11, pour en décrypter les arcanes en lui expliquant le cas CWT. Sa réponse fut simple et claire : « Le grand avantage du recours au Chapter 11 est qu’il permet de restructurer la dette tout en continuant l’exploitation de l’entreprise sans qu’à aucun moment les créanciers puissent exiger quelque remboursement que ce soit ». Et de poursuivre : « Cela procure donc à l’entreprise une période de calme et de sérénité pour lui permettre de se réorganiser et de se relancer, ce qui lui serait impossible sans le Chapter 11 sous la pression des créanciers divers ».
En 2015, Marc Bertonèche avait écrit un très bon papier dans Les Echos pour dire la « remarquable efficacité » de ce dispositif qui avait permis, à la suite de la crise des subprimes, de restructurer 2000 milliards de US$ de dettes de sociétés américaines en 2008 et 2009. Il appelait alors la France à s’en inspirer : « Alors que, dans bon nombre de pays, les lois de la faillite ont pour objectif premier de satisfaire immédiatement les créanciers en liquidant les sociétés en détresse, le Chapter 11 est un véritable acte de gestion permettant de mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire pour assurer leur survie et la reprise de leur activité ».
Cette procédure a cependant plusieurs inconvénients : elle est chère (elle nécessite de recruter une armée de conseillers juridiques pour satisfaire à toutes ses obligations) et elle peut être très longue, avec le risque de ternir l’image de la société auprès des clients et des fournisseurs. On se souvient qu’au milieu des années 2000, Delta Air Lines était restée 19 mois sous ce régime.
Pour aller plus vite et économiser des frais, il existe donc ce qu’on appelle la procédure de « pre-packaged bankruptcy », choisie par CWT. En clair, il s’agit d’anticiper en rédigeant un pré-accord avec tous les créanciers pour transformer une partie de la dette en actions afin d’entrer et de sortir tout de suite du Chapter 11. C’est ce qu’a fait CWT en annonçant dès le 14 septembre un accord avec 90% de ses créanciers puis le 1er octobre la mise en place d’une procédure de Chapter 11 « pre-packaged ».
Le toujours excellent site The Company Dime nous en apprend un peu plus sur les coulisses de la situation. Le journaliste a interrogé deux experts juridiques qui ont tous deux (et séparément) déclaré que, pour cette procédure, « c’est un signe fort que CWT utilise Kirkland & Ellis comme conseiller juridique. Ils sont connus comme l’un des principaux cabinets d’avocats spécialisés dans les faillites de grandes entreprises. (…) Cela vous indique que ceux qui contrôlent cette procédure attribuent une valeur importante à l’entreprise. »
Les deux experts se sont aussi amusés d’apprendre que CWT avait déposé son dossier devant le tribunal des faillites du district sud du Texas. CWT, dont le siège est au Minnesota, est présent au Texas, ce qui permet techniquement à la TMC d’y déposer son dossier. Le tribunal ferait partie d’une petite poignée de tribunaux « favorables aux débiteurs » dans le pays, a révélé l’un deux. « Ce tribunal a mis en place un registre séparé pour les grosses affaires commerciales compliquées. Il y a deux juges et ils sont rapides ».
Si certaines procédures « pre-packaged » ont été conclues quelques jours après le dépôt du dossier, un délai de plusieurs semaines est néanmoins plus courant. Selon le calendrier des procédures, CWT planifie d’entamer les procédures du Chapter 11 au plus tard le 7 novembre devant le tribunal des faillites du district sud du Texas. Dans une lettre datée du 1er octobre, Michelle McKinney Frymire, la nouvelle directrice générale de CWT, prévoit « de mener à bien cette procédure judiciaire très rapidement, voire en un seul jour ». Après cela, CWT disposera selon The Company Dime « de liquidités substantielles (350 millions de US$ ont été évoqués) et d’une dette diminuée d’environ 50 % ». La nouvelle équipe pourra alors repartir d’un bon pied, c’est évidemment tout le mal qu’on lui souhaite.
L’actionnariat ainsi modifié, CWT sera entre les mains de nouveaux propriétaires. C’est une page qui se tourne pour la famille Carlson qui avait fusionné ses activités voyages d’affaires avec celles du groupe Accor en 1994, donnant ainsi naissance à un géant. Pour l’anecdote, j’avais rencontré en 1999 la patronne, Marilyn Carlson, dans son bureau à Minneapolis quand j’étais rédacteur en chef du magazine Voyages d’Affaires. Brushing et tailleur façon Sue Ellen dans Dallas, un accent à couper au couteau, une énergie et un optimisme très « américains », bref une sacrée business woman !
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM