Consolidation des TMC : les 6 enseignements
L’accélération de la concentration des TMC est remarquable en tous points, assez inédite par certains aspects, et en dit long sur l’avenir du secteur.
- Les chiffres ? Du très lourd
Les sommes en jeu donnent le tournis. American Express GBT va mettre la main sur Egencia via une prise de participation d’Expedia (maison-mère d’Egencia) dans GBT de 14% pour un montant de 750 millions de US$. Une opération qui valorise Amex GBT à 5,4 milliards de US$. Le volume d’affaires de GBT en 2019 était de 35 milliards de US$, celui d’Egencia de 8,3 milliards de US$. En clair, le numéro 1 mondial absorbe le numéro 4 ou 5 selon les classements. Rien que ça.
Quelques heures après cette annonce tonitruante, l’américain TripActions, fondé en 2015, révèle avoir racheté la TMC britannique Reed & Mackay, créée en 1962, pour un montant (non officiel) supérieur à 250 millions de US$. Reed & Mackay avait réalisé en 2019 un volume d’affaires de près de 590 millions de livres sterling, soit près de 830 millions de US$. Le nouvel ensemble va gérer un volume de 5 milliards de US$ et revendique 5000 entreprises clientes. Rappelons qu’après plusieurs levées de fonds, dont une récente de 155 millions de US$, TripActions est valorisée à 5 milliards de US$, soit presqu’autant… qu’Amex GBT !
- Est-ce une course à la taille critique ?
Certes, ces deux opérations apportent du volume aux acheteurs mais on passe à côté de l’essentiel si on s’arrête à ça. Elles les renforcent surtout dans des domaines où ils sont absents. Amex GBT met enfin un pied sur le segment du mid-market online, convoité depuis longtemps sans grand succès. De son côté, TripActions s’offre une TMC réputée pour ses services à haute valeur ajoutée. Comme le résumait finalement assez bien un observateur dans Business Travel News Europe (Lire ici), « Amex GBT, entreprise de services traditionnels, ajoute une expertise technologique alors qu’au contraire TripActions, entreprise technologique de la Silicon Valley, s’enrichit d’un service offline ».
D’autre part, TripActions avait encore des difficultés à séduire des comptes multinationaux bien que les récents contrats signés avec Aecom (un bureau d’études et de conseil en ingénierie) et Springer Nature (société d’édition germano-britannique) aient démontré des progrès. La présence dans plus de 20 pays de Reed & Mackay devrait donc l’aider à asseoir une légitimité internationale. Pour information, Heineken, qui opère dans 70 pays, vient d’annoncer avoir choisi TripActions pour gérer ses 150 millions d’euros de budget voyages (Lire ici).
En somme, et c’est un fait assez remarquable : bien qu’elles étaient fragilisées par la pandémie, comme l’ensemble des TMC, Egencia et Reed & Mackay n’étaient pas moribondes pour autant. Cette consolidation s’inscrit bien dans une stratégie offensive et non strictement défensive comme le serait une simple addition de volume. Il ne s’agit pas d’être plus gros mais d’être plus fort avant tout. La pandémie a accéléré les mutations du business travel, une partie des déplacements des grandes entreprises notamment étant amenée à disparaître pour des raisons principalement écologiques. Les TMC ne trouveront donc des relais de croissance qu’en chipant des comptes aux confrères, certes, mais aussi et surtout en proposant de nouveaux services, avec la meilleure technologie, et en allant conquérir des budgets voyages encore non intermédiés. Donc du côté des PME où le potentiel reste important. C’est aussi à cet aune qu’il convient de lire ces deux transactions.
- Faut-il attendre d’autres opérations de ce type ?
Assurément et ce n’est qu’un début ! Entre les TMC laminées par la crise du Covid, devenues des proies faciles, et les TMC qui veulent anticiper le voyage d’affaires post-Covid, la consolidation a de beaux jours devant elle. Mark Williams, partenaire au sein du fonds d’investissement Inflexion qui a vendu Reed & Mackay à TripActions, ne dit pas autre chose dans une interview à BTN Europe (Lire ici) : « Je pense qu’il y a deux types d’opportunités désormais. Les TMC qui doivent se consolider parce qu’elles ne sont pas vraiment viables et qui doivent être regroupées rapidement et vendues. (…) Les petits joueurs sont clairement la cible et valent moins cher qu’avant la crise. Et puis il y a le genre d’accords que nous avons vus cette semaine par le biais duquel les TMC ajoutent ou renforcent un élément manquant. Ces opérations ne seront pas bon marché mais elles seront plus rentables à long terme ».
Comme un fait exprès, quelques jours avant ces deux rachats mastodontes, TravelPerk, fondée aussi en 2015 et basée à Barcelone, et concurrent affiché de TripActions, a annoncé avoir levé 160 millions de US$ pour financer de nouvelles acquisitions ! Une effervescence finalement très rassurante pour le secteur, qui montre combien les investisseurs ont confiance dans l’avenir du voyage d’affaires et des TMC.
- L’hôtellerie, le facteur x
Comme le raconte très bien le site The Company Dime (Lire ici), l’hébergement est un « élément majeur de l’opération » entre Expedia et Amex GBT. Le premier, principal concurrent de Booking.com, compte ainsi vendre plus de chambres d’hôtels aux clients de GBT. De son côté, le deuxième va bénéficier des tarifs hôteliers attractifs d’Expedia. GBT continuera-t-il à s’approvisionner auprès de Booking ? Paul Abbott, Pdg d’Amex GBT, a déclaré qu’il était trop tôt pour répondre à cette question.
Autre question : les clients du nouvel ensemble auront-ils encore besoin de négocier directement leurs propres tarifs hôteliers? L’avenir le dira mais Louise Miller, managing partner d’Areka Consulting, s’emballe : « C’est génial pour les acheteurs. (…) Personne ne veut voir un monopole bien sûr mais nous avons besoin de stabilité ».
Steve Reynolds, Pdg de Tripbam, est moins enthousiaste. Toujours cité par The Company Dime, il exprime son scepticisme : «Au fur et à mesure que la concurrence diminue, les acheteurs peuvent finir par payer le prix fort ».
- Les OBT intégrés marquent des points
Autre fait remarquable : les quatre acteurs de ces deux rachats ont leurs propres systèmes de réservation. Rappelons d’ailleurs que c’était Egencia qui avait commencé à défier le modèle traditionnel de partenariat entre les TMC et les OBT/SBT il y a près de 20 ans avec sa technologie intégrée. Et que GBT est propriétaire de son outil Neo depuis le rachat de KDS en 2016. A priori, Traveldoo, qu’Expedia a racheté il y a dix ans, ne fait pas partie de l’accord de rachat d’Egencia par Amex GBT. A surveiller néanmoins. Et selon le communiqué de presse commun de GBT et Expedia, la prise en charge par Amex GBT des outils de réservation tiers reste inchangée.
Il n’empêche. Comme le dit Louise Miller, d’Areka Consulting, toujours dans The Company Dime : « Alors que nous sommes en pleine pandémie, le marché montre clairement que les écosystèmes fermés font l’objet d’importants investissements. Les OBT tiers ont leur place bien sûr mais cela reste toujours un défi pour les TMC de les implanter ».
- Une bonne nouvelle pour les clients ?
Toujours dans BTN Europe, on apprend que les clients de Reed & Mackay (qui avait racheté le français Frequent Flyer Travel Paris en 2017) ont été informés que l’ensemble du personnel actuel et la marque seront conservés et que la TMC sera gérée de manière relativement indépendante par TripActions. De son côté, Amex GBT a indiqué un traitement similaire pour Egencia. Plutôt rassurant à ce stade.
Sous couvert d’anonymat, le travel manager d’un compte géré par Egencia prévient cependant : « la manière dont GBT intègrera les opérations et les équipes d’Egencia sera observée de près. Aucun client ne voudra subir de perturbation opérationnelle, surtout à l’approche de la réouverture lente des voyages ».
Concernant le rachat de Reed & Mackay par TripActions, c’est plutôt la différence de culture qui questionne : « Une entreprise technologique de la côte Ouest, dont l’uniforme est composé de tee-shirts, de jeans et de baskets contraste fortement avec le spécialiste britannique des services à haute valeur ajoutée dont les clients portent des costumes et des cravates dans les secteurs du droit et de la finance ».
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM